Beaucoup de choses à raconter ! Un article que Sylvain qualifierait certainement de "à rallonge". Beaucoup de photos également qui sont dans le dossier Venezuela à gauche de l'écran. Quelques videos également, pas forcément toutes dans l'article, vous pouvez aller sur wat.tv
22 octobre - Venezuela !
Réveil tardif à Boa Vista, et nettoyage intégral du bonhomme.
Je reprends mon sac et vais à la gare routière. Je me débrouille tant bien que mal en espagnol portuguisé et attrape le bus pour Pacaraima, village brésilien frontière avec le Venezuela.
Nous tournons de manière incompréhensible dans Boa Vista, puis le bus s’arrête. Au bout de 20 minutes, tout le monde descend. Le bus est en panne ! Un autre vient nous chercher et nous voilà partis vers le nord, dans le même type de paysage que la veille : savane, étangs marécageux. Après deux heures, le relief s’accentue et la route commence à grimper. Le long de la route, quelques villages indiens aux habitations tantôt typiques, tantôt type baraque pourrie, tantôt maisonettes similaires probablement financées par le gouvernement. Nous traversons en effet une « réserve » (je n’aime pas ce mot, mais bon).
Terminus à Paracaima, je descends du bus, pas même un taxi pour m’interpeller. Pas de bus pour passer au Venezuela avant demain matin, je demande donc où prendre un taxi. Deux gars me font monter à l’arrière de leur pick-up pour m’amener au poste frontière proche, où ils arrêtent une petite voiture. Le chauffeur me salue et m’invite à monter, il va au Venezuela. Un coup de tampon au Brésil, un autre au poste vénézuelien (pas de fiche à remplir, juste un douanier agréable qui me demande où je vais pour combien de temps et me souhaite bon voyage avec le sourire). Je ne sais toujours pas si je suis en train de faire du stop ou du taxi, quand j’avise l’autocollant « taxi » sur le pare-brise. Le chauffeur est pro-Chavez et me demande comment celui-ci est perçu en Europe. Il me dépose devant la banque à Santa Elena après m’avoir montré les différents hôtels possibles.
Au distributeur, surprise : avant de finaliser le retrait la machine me demande les 2 derniers numéros de mon numéro d’identification. Que es ?? Une femme me montre les deux derniers numéros de sa car
te d’identité et me suggère d’en faire de même avec mon passeport. J’essaie différents chiffres, rien ne marche ! Me voilà bien ! Soudain, j’entends « Vincent ? ». Qui peut bien me connaître ici ??? Je retrouve Louise et Julien que j’avais rencontrés à la frontière Surinam-Guyana. Ils s’apprêtent à prendre le bus pour Cuidad Bolivar (12h de trajet) pour aller voir Salto Angel. J’hésite un peu, mais primo je n’ai pas un bolivar, segundo je préfère aller au Monte Roraima. Pour l’argent, eux ont changé dans la rue. Le taux de change est 2 fois plus avantageux au marché noir qu’au distributeur ! Nous nous donnons rendez-vous « quelque part dans la cordillère » quelque mois plus tard, puis je vais faire du change dans la rue avec l’argent brésilien que j’ai sur moi. En même temps qu’une chambre, je trouve Francisco qui tient une petite agence de voyage ici. Pas de groupe en partance pour le Roraima, il faut patienter (je ne vais pas me payer un guide tout seul).
Le soir je vais manger un bout puis me balade dans les rues, au son de musiques latinos. J’assiste à un concours de chant assez rigolo sous le préau de l’église. FX, le croiras-tu, je n’ai pas trouvé une bière décente dans cette bourgade ! Tout juste une « polar light » sans aucun goût. Apparemment il y a des problèmes d’approvisionnement en ce moment, d’après les dires d’un serveur.
23 octobre - Préparatifs
On est dimanche, autant pour moi qui voulait faire la tournée des agences pour me trouver un trek. Je change de stratégie et aborde quelques touristes comme moi en leur demandant si à tout hasard ils ne partiraient pas au Roraima. L’un d’eux, Paul, est un anglais qui attend sa copine partie là-haut sans lui : il a en effet dû renoncer la veille du départ pour cause d’infection à la cheville. Après 2 jours à l’hôpital, il se soigne en attendant. N’ayant de toute façon pas assez de cash pour me payer le trek, je l’accompagne retirer de l’argent au brésil, pour le changer ensuite au Venezuela. Nous partons en taxi avec un vénézuélien qui doit l’emmener le lendemain faire un tour en voiture. Pas de tampons à la frontière, les douaniers ont l’habitude de ce genre d’opération.
Au distributeur, c’est un peu la loterie, un coup ça marche, l’autre pas, mais au bout d’une demi-heure, c’est bon j’ai ce qu’il me faut et Paul aussi. Pour fêter ça, nous allons manger dans un restaurant à volonté. Le principe ? Tout est à volonté : salades, pâtes, riz, accompagnements divers, mais aussi la viande grillée dans une grande cheminée. Le tout pour 6€, c’est encore plus fort que chez Marie à Penhoët ! Chacun va se servir en accompagnement, puis s’assied. Commence ensuite un ballet de serveurs qui viennent la broche à la main proposer poulet, porc, bœuf, cœur (corazon), etc… Au besoin ils découpent la tranche directement au dessus de l’assiette. C’est l’orgie ! Vous connaissez le bonhomme, j’ai évidemment fait bombance. Il ne manque qu’une bonne bouteille de vin, mais nous nous contentons d’un soda brésilien pas mauvais, guarana ou quelque chose comme ça. Au final, nous restons bien 2 heures à manger en continu, en papotant et en blaguant sur le principe du restaurant.
Retour ensuite sous l’orage au Venezuela. Repu, je m’effondre sur mon lit pendant 2 heures. Dans le hall de l’hôtel, je rencontre des polonais. Je questionne, et oui, ils vont bien au Roraima, départ dans deux jours, pour une durée de 6 jours, un groupe de 12 personnes au total. Ils se débrouillent plus ou moins en autonomie. En parallèle, Francisco m’avertit qu’il a peut-être une solution. Je passe la soirée au comptoir à boire des sodas (si ! pas de bières à l’hôtel) avec le « chef » des polonais et Paul, puis avec Francisco. Je choisis finalement son option : 2 américains, 4 jours, départ le lendemain. Je termine la soirée en préparant mon sac.
24 octobre - L'approche
08h, un certain Franck vient me chercher en 4*4. Nous passons chercher les provisions, puis faire le plein au prix hallucinant de 0,097 bolivars le litre, soit environ un centime d’euro ! Pour un plein de 70L, soit 0,7€, Franck laisse l’équivalent de 2 euros au pompiste : un pourboire plus élevé que le plein. J’imagine que ce n’est pas sur le prix de l’essence que les pompistes vivent ! Nous passons ensuite chercher les 2 américains : Darryl, chauffeur poids lourd du Nebraska et Jacob, ingénieur génie civil dans le Missouri. Ils viennent de passer 2 semaines au Guyana et sont bien motivés par ce trek au mont Roraima.
Nous filons à vive allure sur la route quasi déserte, dans des décors somptueux, ayant apparemment servi au film Jurassic Park. Il faut dire que l’histoire de l’exploration du Roraima a servi de base à Conan Doyle pour « The Lost World », le bouquin ayant ensuite un autre écrivain, puis débouché sur le film. A l’époque, fin 19ème, personne n’avait réussi à aller en haut, et les scientifiques déclaraient possible que des formes de vie préhistoriques puissent encore y exister, étant donné l’isolement du plateau.
Nous nous arrêtons à San Francisco, un village indien construit en bord de route, où nous embarquons un autre Franck qui sera notre guide. Nous lâchons la route pour emprunter une piste qui nous amène quelques dizaines de kilomètres plus loin à Paraytepuy, un autre village indien qui sert de point de départ pour le Roraima. Nous signons le registre, peaufinons nos préparatifs, et c’est parti !
Nous sommes donc 3 touristes, un guide, et deux porteurs indiens. Chacun porte un sac à dos d’une douzaine de kilos avec le matériel nécessaire pour 4 jours en autonomie, même si il y aura quelques transferts de charge un peu plus tard… Nous avançons dans un paysage de savane avec en ligne de mire le tepuy du Roraima. (voir lien pour savoir ce qu’est un tepuy), caché pour le moment par des nuages.
Franck nous explique les propriétés de certaines plantes en médecine indienne (malaria, fécondité, fièvre…). C’est sa 322ème expédition au Roraima, du haut de ses 52 ans qu’il fêtera le dernier jour de notre trek. Il est indien, a grandi dans la région (de chaque côté de la frontière Guyana Venezuela qui, pour les indiens locaux, n’a évidemment que peu de sens), avant de partir quelques années en Europe, puis de revenir au pays. Tout au long des 4 jours à venir, il nous racontera des histoires de savane, de chamans, de serpents, de traditions indigènes etc…
Nous avançons à un bon rythme, en remplissant de temps à autre nos bouteilles d’eau dans des torrents. Nous observons le travail des colonnes de fourmis « coupeuses de feuilles » et de quelques autre types de fourmis toutes plus sympathiques les unes que les autres, ou écoutons le cri du toucan dans un bosquet voisin. Nous passons une tombe récente, un guide qui a été foudroyé l’année dernière… C’est gai… Notre point de mire se rapproche et s’éclaircit petit à petit.
Nous arrivons à un premier camp, soit 4 maisons indiennes et un abri, à côté duquel un groupe d’une douzaine de
personnes a installé ses tentes. C’est le groupe de l’amie de Paul l’anglais, à qui je donne des nouvelles rassurantes de son homme. Son groupe est parti pour 6 jours et a eu beauuucoup de pluie.
Après le camp, première traversée d’un gros torrent. Nous nous déchaussons, et franchissons l’obstacle en essayant de ne pas glisser ou s’exploser le pied dans les cailloux (note pour plus tard : prendre une paire de chaussettes dédiée à cet exercice. Pieds nus, tu glisses, mais si tu gardes tes chaussettes de rando comme Darryl et Jacob, tu marches ensuite les pieds trempés).
Après une deuxième traversée de torrent, nous arrivons à notre campement : une petite surface désherbée pour les tentes et un abri. Je retourne au torrent nager un peu et faire ce qui sera ma dernière toilette avant le retour. Le soleil se couche, embrasant les parois verticales du Roraima enfin dégagé des nuages, ce qui nous donne un aperçu de ce qui nous attend le lendemain.
Deux couples de vénézueliens et leur guide et porteur sont installés au camp et nous mangeons à côté d’eux. Les porteurs ont préparé le dîner et, surprise, celui-ci est excellent et copieux. J’avais en effet eu de nombreux mauvais échos d’autres groupes sur la qualité et la quantité de la nourriture pendant le trek. Franck me tend un pot et me propose de goûter une sauce pour accompagner le riz. « Que esta ? termita sauce ! ». Dans le pot, on voit en effet des morceaux d’abdomen de termite baignant dans une sauce. Je me lance et goûte. La sauce, à base de cassave, une euphorbiacée (spéciale dédicace à Maman) autrement appelée manioc, est très parfumée et relevée. Je croque un morceau de termite et là, c’est l’explosion ! Le piment, comme m’explique Franck, est particulièrement absorbé par le corps de la termite. Par la suite, j’écrase donc dans mon assiette les morceaux de termite, histoire de mieux répartir le piment ! La termite elle est source de protéines ; Darryl et Franck m’observent et sont hilares. Je leur explique que c’est une manière pour moi de me venger de toutes les piqûres d’insectes que nous subissons. Bilan de la sauce : plutôt bonne, je me ressers ! Nous ne tardons pas à aller nous coucher, une dure journée nous attend demain.
25 octobre - La montée
Réveil à 05h30 à l’aube et petit déjeuner copieux. Darryl a peiné hier, il souffre des genoux et également d’une épaule suite à une chute il y a quelques jours. Un des porteurs récupère son sac et je récupère une tente pour alléger le porteur.
Après les 13km relativement plats d’hier, nous avons aujourd’hui au menu 12km, mais surtout 1700m à grimper. La première partie est une marche d’approche sur les contreforts du Roraima. Nous montons sous le soleil, la végétation change petit à petit. Darryl souffre mais continue. Je les attends au camp de base où nous déjeunons, tandis que le ciel se couvre petit à petit. Je donne mes compeed à Darryl qui a de nombreuses ampoules. Le pauvre est effondré, a mal partout. Jacob lui masse le dos, tandis que je lui passe du baume du tigre. La motivation est là et il repart, mais après quelques dizaines de mètres, il prend appui sur son bras douloureux et manque de perdre l’équilibre tant la douleur a été violente. La mort dans l’âme, il renonce. Nous réorganisons tout : les hommes, le matériel, la nourriture. 1 porteur restera avec lui au camp de base puis le raccompagnera au point de départ, tandis que Jacob et moi continuons avec le guide et Innocentio l’autre porteur.
Nous avons pris un petit coup au moral, mais il faut se reprendre, car les difficultés commencent, avec des passages abrupts ou nous utilisons les mains (attention aux serpents, nous dit Franck). La longue pause de midi m’a complètement refroidi les muscles, et je suis à la peine. Nous sommes maintenant dans la forêt au pied des falaises.
La végétation est luxuriante, il fait très humide, d’autant plus quand les premières goutes commencent à tomber. Je croise un porteur qui descend et me demande si j’ai des cigarettes. Je le dépanne, tandis qu’il m’explique qu’il descend les excréments d’un groupe de 12 français qui est là-haut depuis 4 jours. En effet, pour ne pas perturber l’écosystème sur le plateau, il faut tout redescendre, et quand je dis tout, c’est tout ! Le groupe en question a l’air de souffrir de problèmes d’organisation : ils n’ont pas assez à manger et tout le monde a faim, l’ambiance en pâtit. Nous rigolons puis, Franck et Jacob m’ayant rejoint, je le laisse continuer son « boulot de merde », comme il dit. Il me souhaite bon courage pour l’ascension de la plus vieille montagne du monde : quelques 2 milliards d’année.
Nous sommes maintenant au pied des impressionnantes falaises. Celles-ci sont surplombent et parfois nous passons entre le mur et des petites cascades qui tombent de quelques 600m de haut. Nous arrivons au pied de « la rampe », unique moyen d’accès au plateau, un petit passage abrupt entre les falaises. Impressionnant de loin, il est en fait suffisamment large pour ne pas avoir le vertige. Avant de l’attaquer, le guide me dit d’attendre en haut, car sur le plateau il est difficile de s’orienter, d’autant que le sommet est maintenant dans les nuages.
J’ai retrouvé un peu de peps et, une trois quart d’heure plus tard, je débouche sur le plateau. Les roches prennent des formes invraisemblables, rendues mystiques par le brouillard. Je profite de l’attente pour regarder de plus près la faune et flore du lieu. Minuscules grenouilles noires, plantes carnivores (drosera), etc…
elle est mignonne, grande comme un demi-pouce
Drosera, une petite plante carnivore
Le guide prend le relais et, après m’avoir convaincu de mettre le doigt dans un autre type de plante carnivore, nous amène à notre « hotel », une grotte où nous pouvons poser nos affaires au sec et ou Innocentio est déjà en train de préparer le repas du soir. La nuit tombe, il fait frais, nous sommes trop crevés pour faire la moindre toilette. Des porteurs du groupe de français affamés viennent nous rendre visite, détenteurs d’un message de leur guide vénézuélienne. Ils dorment à un kilomètre de là et la guide quémande quelques cigarettes : elle n’en peut plus du groupe ! Pas assez de bouffe, plus de clopes, ambiance dégradée… Je lui renvoie un message de soutien accompagnant les cigarettes. J’ai bien fait d’emmener un paquet en tout cas !
19h00, nous allons nous coucher, exténués. Je ne crois pas m’être couché aussi tôt depuis… heu… jamais ?
26 octobre - Le plateau
Réveil à 05h30, nous enfilons nos affaires sales et humides de la veille et partons aussi sec pour un petit tour de 2 heures à l’extrémité ouest du plateau. Le ciel est dégagé, et nous dérouillons tranquillement nos muscles engourdis. Au bord du plateau, nous jouissons d’une vue type « vue d’avion sur la forêt du Guyana et le Venezuela. Nous arrivons au site « La ventana », la fenêtre, une particularité des rochers au sommet de la falaise : un trou avec en dessous plusieurs centaines de mètres de vide. A côté, un autre rocher surplombant le gouffre ce qui donne lieu à une sympathique séance photos.
Sur le chemin du retour, une autre particularité : les « jacuzzis », petites piscines naturelles.
Le soleil ne nous a pas encore suffisamment réchauffés pour tenter la baignade, et nous rentrons au camp prendre le petit déjeuner. Nous partons avec un sac à dos pour trois, Innocentio restera au camp pour la journée.
Je ressens petit à petit une légère douleur au genou gauche dans les passages en montée. Je le ménage donc en faisant travailler le droit. Au fur et à mesure de la journée, la gêne s’accentue, c’est une petite tendinite, conséquence des efforts d’hier. Ca ne m’empêche pas d’avance et de profiter de l’incroyable décor du plateau. Les rochers prennent des milliers de formes et configurations différentes. Un peu de végétation, quelques rares arbustes, du sable rose, quelques cristaux, de petits torrents qui vont se jeter quelques centaines de mètres plus loin du haut de la falaise. Nous renouvelons l’opération déchaussage pour traverser l’un d’eux. Jacob s’enfonce un peu plus loin dans la boue jusqu’aux genoux, ce qui ne manque pas de me faire éclater de rire. Autre site remarquable : un petit gouffre de 10m de profondeur laissant présager d’un réseau de rivières souterraines.
Nous arrivons, après une dizaine de kilomètres à notre objectif : « triple point », le point frontière entre Guyana, Brésil et Venezuela. Nous mangeons au soleil, même si quelques gouttes commencent à faire leur apparition. Après quelques tours de la borne frontière et une photo souvenir, nous enchaînons avec « Crystal Valley », qui porte ou plutôt portait bien son nom. La plupart des cristaux ont été emportés au fil des ans, malgré l’interdiction formelle.
Cette fois la pluie est là, et bien là. Jacob a oublié son K-way et se fait rincer. La pluie s’intensifie encore et le tonnerre se fait entendre tandis que nous traversons une zone complètement plate. BLAAAAMMM !!! Cette fois la foudre est tombée à quelques centaines de mètres et chacun pense à la tombe du guide foudroyé. Pour avoir déjà été pris au cœur d’un orage en montagne, je connais le danger et ne fait pas le fier. J’essaie de demander à Franck de nous trouver un abri, mais avec le bruit de la pluie, je ne suis pas sûr qu’il entende. Qu’il ait entendu ou pas, il a de toute façon la même idée et nous rallions un petit massif où nous pouvons nous abriter tant bien que mal dans des creux de la roche. Nous sommes trempés et frigorifiés. La grêle commence à tomber avec force sur le plateau. CRRRRRRAAAACCCC !!!!! La foudre est tombée très près, peut-être sur le monticule en dessous duquel nous nous abritons. Le bruit du tonnerre est assourdissant et nous ressentons les vibrations à l’intérieur de notre corps. Nous restons prostrés à attendre que l’orage s’éloigne pendant trois quarts d’heure qui paraissent une éternité. La grêle s’est arrêtée, mais il tombe toujours des seaux (expression qui ne m’a jamais parue aussi vraie qu’aujourd’hui). Le guide s’inquiète pour une autre raison : nous sommes à quelques dix kilomètres du campement et il ne faut pas tarder sous peine de terminer à la nuit, ce qui peut être périlleux. L’orage stagne sur place, mais il nous faut partir. Nous reprenons notre route dans des conditions apocalyptiques, accompagnés par le bruit du tonnerre. Plus personne ne se préoccupe des flaques d’eau, de toute façon le plateau n’est qu’une flaque d’eau géante et nous marchons de temps en temps dans 30 cm de flotte. Nous marchons/courons courbés avec le vague espoir que la foudre ne nous trouvera pas sur cette zone archi-plate
Nous rejoignons enfin une zone avec plus de relief où nous ne sommes plus des cibles ambulantes (ce sont les mots du guide) Les rochers sont bien entendu trempés et glissants et il faut faire attention. Le chemin passe par un rocher très incliné et Franck glisse et n’arrive pas à monter. Jacob et moi lui poussons le derrière et il réussit à s’accrocher en haut. Je fais de même pour Jacob, puis prend un peu d’élan et, à bout de bras, réussis à m’accrocher également. Nous sommes passés !
Le point positif : la pluie baisse en intensité et l’orage semble être resté au même endroit. Le point négatif ? Le plateau est inondé, les ruisseaux sont devenus torrents. Nous devons à présent traverser l’un deux. Franck pose ses pieds en éclaireur tandis que je lui tiens la main. Nous nous assistons les uns les autres et pouvons continuer. Nous arrivons au petit torrent du matin où il nous a fallu déchausser. Le torrent est devenu rivière ! Nous sommes tous les trois dans l’expectative : que faire ? Franck nous regarde, et nous demande si nous savons nager. Nous le regardons avec de grands yeux, tout en sachant que nous n’avons pas le choix. J’évalue le courant, la largeur à traverser. Si nous n’avions pas le sac et nos chaussures gorgées de flotte, ça passerait sans trop de problème en nageant. Mais voilà, nous avons passeports et appareil photos dans le sac ! Nous emballons le tout dans plusieurs sacs plastique que nous mettons dans la poche supérieure du sac. En prévision d’avoir à nager nous enlevons nos chaussures et les accrochons à notre cou. J’évalue à nouveau la situation. Si l’un de nous est emporté par le courant, il pourra toujours abandonner ses chaussures ou le sac et rejoindre la berge d’en face à la nage. Nous ne le voyons pas, mais savons que quelques centaines de mètres plus loin, l’eau se jette du haut d’une falaise de 600m… Mieux vaut réfléchir avant de s’engager !
Le petit torrent franchi le matin - pas de photo l'après-midi (censuré !)
Franck se lance le premier en tenant le sac au dessus de sa tête, il sait à quoi ressemble le terrain sous l’eau. Celle-ci lui arrive rapidement jusqu’au torse et il revient. Comme je suis le plus grand, il trouve que j’ai plus de chances de maintenir le sac au sec. Il y retourne. L’eau lui arrive au cou, et je le vois perdre pied et dériver quelques mètres, avant de retrouver une zone où il a pied et peut résister au courant. Il reste là au milieu des flots et me fait signe. A moi ! Je tiens le sac à bout de bras d’une main au dessus de ma tête et m’enfonce dans l’eau froide (en pratique je ne me suis pas rendu compte tout de suite de la température de l’eau, trop concentré sur la traversée à effectuer). Je résiste au courant mais au même endroit que Franck, je perds pied. Je nage en direction du guide quelques secondes, d’une main, l’autre me servant à maintenir le sac hors de l’eau. Franck attrape ma main et hop j’ai pied de nouveau. Nous voilà tous les deux au milieu du torrent, de l’eau jusqu’au torse. Je lui redonne le sac et me retourne vers Jacob : à son tour ! Même opération, il s’enfonce progressivement dans l’eau, puis dérive quelques mètres dans notre direction, et je lui attrape la main. Je tire dessus de toutes mes forces pour le ramener sur la zone où nous sommes. Ce que je ne sais pas et qu’il me dira plus tard, c’est que je l’ai tiré droit dans un bosquet qui lui a râpé les jambes. Dans l’opération, je perds l’équilibre et c’est Jacob à son tour qui me rattrape avant que je ne dérive. Tout le monde est là ? Les affaires aussi ? FRANCK ! Le dessus du sac a fait un plongeon dans l’eau sans qu’il ne s’en aperçoive. Oups ! La deuxième partie de la rivière est moins profonde et nous rejoignons sans autre péripétie la rive opposée. Nous avons le sourire, nous sommes passés !
Bien entendu, nous sommes intégralement trempés, nos affaires aussi. La pluie s’est arrêtée, c’est déjà ça. Nous nous rechaussons en vérifiant anxieusement l’état de nos affaires : nos portefeuilles sont humides, quelques dollars de Jacob sont collés, mais les passeports sont secs. Les appareils photos sont un peu humides, mais ça doit aller. Nous reprenons le chemin en silence, laissant s’évacuer la tension nerveuse accumulée lors des deux dernières heures. Nous marchons vite, j’essaie toujours de ménager mon genou gauche, ce que j’avais un peu oublié de faire pendant l’orage.
Nous parvenons près du campement et Franck nous demande si nous sommes toujours motivés pour grimper le sommet voisin du Roraima. Bizarrement, Jacob et moi trouvons un reste d’énergie et le guide nous indique le chemin, lui rentre au camp. Nous grimpons rapidement dans les rochers et profitons d’une magnifique vue, le temps s’étant un peu amélioré. Je redescends le premier, mais ne voyant pas Jacob me suivre je m’arrête. Je l’entends alors m’appeler. Je reviens en arrière jusqu’à le voir : il a perdu le chemin et se retrouve coincé dans un petit morceau de falaise, sans pouvoir remonter ! Calmement, je l’oriente vers une petite plateforme d’où il peut rejoindre le sentier. Une petite émotion supplémentaire… Nous rejoignons à la nuit tombante le campement où Innocentio nous a encore mitonné une énorme soupe de pâtes que nous dévorons après avoir enfilé des vêtements secs. Nous buvons une rasade de la fiole de whisky que Jacob a amené, puis il se fait tard (19h30), au lit !
Pas de photos ou de films du passage de la rivière, on n'y a vraiment pas pensé sur le moment !
27 octobre - La descente
Réveil à 04h45, porridge et croque-monsieur ( ! ), histoire de faire le plein d’énergie, car une dure journée nous attend : nous devons rejoindre notre point de départ dans la journée, alors que nous avons mis deux jours à venir. Au menu : 1800m de descente d’un trait, puis 150m de montée, tout ça sur quelques 25 kilomètres.
Départ 06h après avoir plié bagage. Ma tendinite est évidemment toujours là, et je dois trouver de nouvelles techniques de descente (Fab, FX, je vous expliquerai). Tout est encore trempé de la veille ce qui donne un piment supplémentaire dans les parties abruptes. Jacob a les jambes lourdes et se ramasse par terre plusieurs fois. Nous progressons néanmoins assez vite et rejoignons le camp de base vers 08h30, 850m plus bas. Très courte pause, plus de zone risquée maintenant et le guide prend de l’avance pour rejoindre le bon vieil Innocentio qui nous a encore mis une pâtée en nous doublant dans la descente avec son sac à dos en feuilles tressées et ses 20 kilos dedans.
Le terrain moins incliné convient mieux à mon genou et je descends rapidement, en attendant de temps en temps Jacob qui continue de faire des fautes techniques et se retrouve les fesses par terre. Nous arrivons vers 11h au camp où nous avons dormi la première nuit. 1800m de descente en 5h. Pause déjeuner, Innocentio nous a encore préparé une de ces plâtrées de pâtes avec les restes ! Nous ne nous attardons pas, d’autant que les puri-puri, minuscules moucherons, sont d’attaque et se régalent de notre sang. Nous franchissons les deux petites rivières et arrivons au camp où j’avais croisé l’amie de Paul à l’aller. Nous nous arrêtons prendre une bière tout à fait inattendue dans cet endroit, pour fêter l’anniversaire de Franck, puis repartons. Les kilomètres s’enchaînent, et le temps s’obscurcit. Sur les tepuys derrière, l’orage gronde, et dans la direction où nous allons également. Grmblblbllblbl… Nous passons évidemment de nouveau devant la tombe du foudroyé… Nous avons cependant de la chance, plusieurs orages sont proches, mais nous sommes au soleil !
Jacob a de plus en plus de mal, mais il ne faut pas jouer avec l’orage, il faut continuer ! Le guide a pris de l’avance et nous traversons la savane et quelques ruisseaux. La pluie commence à tomber, mais au final nous serons relativement épargnés. Franck, 1 kilomètre plus loin, se fait rincer. Il nous attend et je prends le relais en tête : je n’arrive plus à m’arrêter ! ou plutôt, si je m’arrête, je ne repars plus ! Tout est trempé et glissant, et me voici moi aussi le cul par terre. Je repars, tout au mental, tellement je suis à bout de forces. 2 kilomètres avant l’arrivée, une dernière traversée de torrent m’ajoute un litre de flotte dans chaque chaussure, mais tant pis, je terminerai comme çà ! J’arrive vers 16h à Paraytepuy. Ma démarche ne ressemble plus à rien, et moi non plus ! Je retrouve Darryl qui est arrivé en fin de matinée. Son épaule ne va pas beaucoup mieux, mais ça va quand même. Nous nous racontons nos aventures en attendant Franck et Jacob, qui arrive aussi ruiné que moi. C’en est fini !
Nous patientons jusqu’à 19h avant que la femme de l’autre Franck n’arrive pour nous ramener. Nous déposons Franck à San Francisco, d’où il repart directement en bus de nuit pour Ciudad Bolivar. Merci pour tout Franck ! Super guide très enrichissant, sympa, bref, à recommander ! Si jamais vous voulez faire un trek du côté des tepuys ou de Ciuadad Bolivar, appelez-le directement ! (04 14 89 301 39 ou 04 14 096 00 27 depuis le Venezuela), ça vous évitera de passer par une agence et ça sera tout aussi bien organisé !
En arrivant à Santa Elena, je dîne avec Jacob et Darryl, puis nous échangeons quelques photos. I won’t forget this trek to Roraima with you, guys ! Darryl, you definitly have to come back to climb Roraima, you can make it ! Jacob, thanks for sharing these adventures at the top of Mount Roraima ! And don’t forget to buy Darryl new sunglasses !
Le sac posé en vrac je m’effondre dans mon lit, sans pour autant bien dormir tant les derniers jours ont été intenses…