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4 janvier 2012 3 04 /01 /janvier /2012 18:04

Carretera Austral, somewhere in the middle of nowhere, 24 décembre

 

Cher Père Noël,

J’ai été bien sage toute l’année, gentil avec mes parents. En cadeau de Noël, j’aimerais qu’un pick-up s’arrête pour nous prendre en stop le long de la Carretera Austral. Nous attendons en effet depuis une heure et aucun véhicule n’est passé. Je promets d’être encore bien sage l’année prochaine et gentil avec toutes les personnes qui voudront bien nous prendre en stop.

 

Le Chili, ça se mérite !

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vers le glacier O'Higgins, 21 décembre

El Chalten, 19 décembre

 

Première chose à faire : retourner au distributeur voir s’il est réparé. Echec. La dame de l’office du tourisme en face nous informe que le fourgon jaune doit arriver vers 13h00, comme tous les lundis. Nous passons le temps en nous renseignant auprès des agences sur les horaires et prix des différents moyens de transport pour rejoindre le Chili et Villa O’Higgins. Le trajet théorique se décompose comme suit : minibus d’El Chalten à la rive Sud du Lago del Desierto (37km), bateau pour traverser le lac et rejoindre la rive Nord et le poste frontière argentin, marche et traversée de la frontière jusqu’au lac O’Higgins et le poste frontière chilien (22km), puis bateau pour Villa O’Higgins avec en option une excursion pour voir un glacier.

Première bonne nouvelle : nous pourrons payer le bateau du lac O’Higgins à l’arrivée, en carte bleue. En revanche nous n’avons pas assez de pesos argentins pour payer le bus, le premier bateau, et l’hostel où nous dormons. Il faut absolument que cette fourgonnette arrive. A 13h00, mauvaise nouvelle : elle n’est toujours pas arrivée, et en plus, nous apprenons qu’elle est tombée en panne !

 

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Nous choisissons un restaurant prenant la carte bleue et passons le reste de la journée entre vains allers-retours au distributeur, tentatives de « retrait » auprès des magasins avec l’enseigne « Visa », achat d’un pantalon et d’un bâton (la chute d’hier à coûté cher !), achat de nos billets de bus + 1er bateau, et bien sûr comptes d’apothicaire entre pesos argentins et chiliens afin de trouver une solution  pour payer l’hostel. Nous payons le billet de bus de Johannes pour El Calafate ainsi que ses repas en carte bleue, ce qu’il nous rend en espèces. Après une dernière tentative le soir, nous nous résignons et demandons à l’hostel la possibilité de payer moitié en pesos argentins, moitié en pesos chiliens. Il accepte, ouf ! Nous voilà prêts pour le lendemain ! Par contre il ne nous restera plus des masses d’espèces pour le Chili, où le premier distributeur est quelques centaines de kilomètres après Villa O’Higgins…

Le Chili, ça se mérite !

 

Frontière Argentine-Chili, 20 décembre

Nous disons au revoir à Johannes, puis prenons le minibus en compagnie de… 2 autres personnes seulement. Nous ne serons pas nombreux à passer au Chili aujourd’hui ! D’autant qu’une des deux personnes se fait déposer en route. Le ciel est bouché, nous ne serons pas dérangés par le soleil aujourd’hui. A la moitié du trajet, le conducteur se rappelle qu’il a vu nos billets pour le bateau et nous apprend que le seul bateau de la journée sera à 17h00 et non à 11h. Pour nous ça ne colle pas du tout car nous devons traverser la frontière dans la journée. Nous devrons donc longer le lac pas un petit sentier (il nous indique 4 heures de marche environ), pour ensuite seulement attaquer les 22km de traversée. Nous accusons le coup et demandons le remboursement de notre billet de bateau, ce qu’il fait une fois arrivés à la rive Sud du lac.

L’autre passager, Paul, un américain compte faire le même trajet que nous, mais est nettement moins chargé que nous. Il part en premier tandis que nous prenons un café chez un vieux couple très sympathique qui occupe la seule maison du coin.

 

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11h00, le moral regonflé par la caféine, nous sanglons la guitare sur mon sac à dos et nous mettons en route. Nous portons au moins 25kg chacun, la mise en route est pénible, d’autant que je réalise au bout d’un quart d’heure que j’ai oublié mon chapeau chez le vieux couple. Je laisse mon sac en vrac sur le sentier et retourne le chercher en me maudissant. Nous perdons une vingtaine de minutes dans l’histoire.

 

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       Notre objectif : le petit col tout au fond, 20km plus loin. Il en restera 17 derrière...

 

Le sentier est peu utilisé, car la plupart des gens qui passent la frontière prennent le bateau. Nous hésitons plusieurs fois sur la bonne trace à suivre. Le sentier ne se contente pas de longer le lac, mais monte et descend en continu, ce qui nous use physiquement et moralement. Ma guitare est plus haute que le sac et je dois faire attention aux branches (tout au moins au début du trajet, après quelques kilomètres, je me suis résigné…). Le poids de nos sacs nous ralentit en montée, et nous incite à ralentir en descente, pour ménager nos genoux. Sur les parties plates, Fabrice est également ralenti car il a des chaussures de glacier à semelle rigide qui lui font mal aux chevilles. Nous nous efforçons de faire peu de pauses, d’une parce qu’il fait froid, de deux parce qu’il nous est pénible de nous harnacher en repartant, de trois parce qu’il ne faut pas trop traîner si nous voulons arriver avant la nuit. Une pluie fine s’invite au bal, ainsi qu’un vent fort.

 

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Nous débouchons après deux heures sur un promontoire qui nous offre une belle vue sur la totalité du lac. Peu après, nous perdons le sentier après avoir traversé un petit marécage. Nous rebroussons chemin et finissons par le retrouver, 50 mètres plus haut. Avec le poids des sacs, de petites erreurs comme ça sont décourageantes…  Mais qu’importe, c’est dit, nous serons au Chili tout à l’heure ! Le Chili, ça se mérite !

Nous partageons un sandwich au bord d’un petit torrent, puis repartons, enchaînons les traversées de torrents, de marécages qui nous salissent et surtout nous trempent les chaussures et les pantalons. Le poste-frontière argentin se rapproche petit à petit et, après une dernière portion sur une plage de galet, nous nous présentons au douanier argentin, tout au nord du lac. Il est 16h, nous avons mis 5h au lieu des 4h annoncées.

 

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Nous sommes, sinon trempés, tout au moins humides. De plus, nous sommes en sueur, autant dire qu’à peine arrêtés, le froid arrive à grand pas. Nous essayons sans succès de nous faire offrir un café, mais pouvons rester manger un autre sandwich au chaud. Nous vérifions que Paul est bien passé, sait-on jamais. Il nous précède apparemment d’une heure environ.

Il nous reste 22km et il est 16h30. Les douaniers nous disent qu’il faut 6 heures pour rejoindre l’autre côté. Rester passer la nuit là et partir le lendemain ? Nous ne nous posons même pas la question : nous repartons, sur un sentier nettement mieux marqué qui monte vers le col marquant la frontière. Ne pas penser à la distance restante ni à l’heure tardive, monter en se disant que le Chili est de plus en plus proche… Nous traversons plusieurs torrents sur des bouts de branches glissants, progressons dans les sous-bois en s’encourageant.

18h30, nous sommes à la frontière. Chili ! Il fait vraiment froid, pas loin de 0°C et nos affaires sont toujours aussi humides. Nous marquons néanmoins le coup avec une petite séance photos, puis mangeons notre dernier sandwich. Plus que 16km…

 

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Du côté chilien, plus de souci de sentier à trouver, de marécages ou de torrents à traverser, nous disposons d’une piste pour 4*4 assez récente. Nous marchons maintenant côte à côte, au même rythme. Mis à part les douaniers argentins au poste-frontière, nous n’avons toujours pas rencontré âme qui vive. Une petite pluie glacée recommence à tomber, puis… la neige ! Nous avions soupçonné quelques flocons tout à l’heure, mais maintenant plus de doute. Nous continuons dans les tourbillons de neige, étonnés mais euphoriques. Nous plaisantions tout à l’heure en nous demandant quelles difficultés supplémentaires nous pourrions rencontrer, nous sommes servis ! Nous apercevons entre les flocons ce qui nous paraît être un toit rouge. Un abri ? Une auberge chauffée servant des cafés ?? Ici ??? Pas du tout, ce sont des bornes de signalisation d’une piste d’atterrissage ! Un aérodrome ???? Ici ????? Nous n’en revenons pas, mais il s’agit bien d’une piste en herbe. Pas de bâtiment pouvant nous abriter pour une pause salvatrice, en revanche…

 

 

La neige cesse peu à peu, il semble que le ciel se soit lassé de s’acharner sur nous. Mes épaules commencent à être douloureuses, Fabrice a mal au tendon d’Achille, nous marchons en écoutant attentivement notre corps. Une autre pause, une barre de céréales et c’est reparti. J’ai l’impression d’avoir rouillé pendant les 10 minutes d’arrêt, j’accuse le coup, mais il faut avancer… Ce chemin n’en finit pas…

 

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Le soleil se couche progressivement, les couleurs des montagnes sont superbes, mais nous sommes trop fatigués et avons trop froid pour prendre des photos. Enfin, du haut d’une colline, nous apercevons quelques kilomètres plus loin notre objectif : le lac O’Higgins. Mes épaules et mon cou sont contractés, les esprits sont fatigués également : de plus en plus de blagues et phrases sans queue ni tête qui nous font éclater de rire et garder la forme.

La nuit est tombée quand nous arrivons aux maisons du poste frontière chilien. Laquelle est le bureau d’immigration ? Une lumière, nous allons frapper et le chef des carabineros sort de chez lui pour nous l’indiquer. Il est 23h00 et le douanier de garde nous fait remplir les formulaires d’entrée. Nous déclarons quelque barres de céréales, mais visiblement il n’a pas l’intention de nous faire subir la classique fouille des sacs pour la nourriture. Nous devons avoir l’air vraiment trop crevés !

Encore un kilomètre dans le noir, avec une lampe frontale pour deux, la mienne s’étant volatilisée, puis nous arrivons auprès de trois maisons. Notre rêve depuis plusieurs heures : une chambre chauffée et sèche, un lit douillet. Hélas la seule personne encore réveillée nous dit que son père est couché, qu’il est trop tard pour avoir une chambre. En revanche, nous avons le droit d’utiliser le camping, à savoir planter la tente dans le champ voisin… Il est minuit et nous montons le camp.

Je suis frigorifié, je jette mon T-shirt trempé et enfile un T-shirt thermique, 2 polaires, un blouson, mais pas moyen de me réchauffer. Je prépare une soupe pendant que Fabrice a le courage de se laver avec un peu d’eau des gourdes. Pas de tasse, je renverse une cuillerée sur deux car je grelotte. Nous enchaînons soupe sur soupe. Fabrice a pu se réchauffer à peu près, je sors la couverture de survie et m’enveloppe les jambes. Le ciel s’est dégagé et nous regardons les étoiles en fumant une cigarette, dos contre dos pour garder la chaleur.

Dans la tente, mauvaise surprise : mon duvet, au fond du sac, a pris un peu d’eau. Je rentre quand même dedans, tout habillé, et passe une nuit évidemment mauvaise à cause du froid.

 

Bilan : environ 37km de marche dans la journée, 25kg sur le dos chacun, près de 1000m de dénivelé, plus de12h de marche...

 

Lago O’Higgins, 21 décembre

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Le lendemain matin, j’ai encore froid, nous plions rapidement le camp, et frappons à la porte de la maison/auberge. Nous savourons enfin quelques cafés qui nous remettent d’aplomb, accompagnés d’un fromage un peu brut fait maison. Au bout d’une heure, Paul sort d’une chambre sous mon regard envieux. Nous comparons nos traversées : il avait un peu moins d’une heure d’avance, ce qui lui a permis d’éviter la tempête de neige et… de se faire emmener en pick-up sur les 5 à 10 derniers kilomètres par les hommes de l’auberge qui travaillaient dans les bois, ce qui lui a permis d’arriver suffisamment tôt pour avoir une chambre. La chance était de son côté !

En sortant, nous nous retrouvons face à un mouton fraîchement tué que deux hommes de la maison suspendent à un arbre pour le sécher. Quelques chats se régalent des gouttes de sang tombant de la bête.

Nous descendons à l’embarcadère et patientons en compagnie de quelques carabineros. Le bateau arrive, transportant quelques cyclistes qui vont faire le même chemin que nous en sens inverse : bon courage ! L’embarcation est confortable, l’accueil sympathique. A bord, outre nous deux, une quinzaine de personnes en provenance de Villa O’Higgins restent à bord pour profiter de la croisière.

 

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Je m’endors peu après le départ. Fabrice me réveille : nous arrivons au glacier ! Tout aussi majestueux que le Perito Moreno, mais nettement moins fréquenté ! Nous sommes les seuls sur place, dans un décor incroyablement sauvage. Le bateau reste à 300m du mur de glace, par mesure de sécurité. Nous slalomons entre les icebergs, tandis que par chance le ciel se dégage. L’équipage s’arrête pour ramasser un bout de glace flottante qu’ils emmènent à la mini cafétéria. Pourquoi ? J’ai la réponse quelques minutes plus tard quand le capitaine revient avec un grand plateau rempli de verres. « Whisky ? ». Nous nous retrouvons donc à déguster un whisky « on the rocks », avec de la glace du glacier ! L’instant est complètement irréel, le soleil brille, nous sommes aux anges. Après les difficultés de la veille (le Chili, ça se mérite !), le contraste est saisissant !

 

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Nous repassons vers 17h à l’embarcadère du matin pour déposer quelques passagers souhaitant rejoindre l’Argentine, et embarquer Paul qui est resté aux environs de l’auberge aujourd’hui. Il nous reste ensuite deux heures de traversée légèrement mouvementée, durant lesquelles nous parlons avec les passagers et le personnel de bord très relax. Au débarcadère, une personne de la compagnie nous attend avec un appareil portable de paiement par carte. J’ai l’impression de me retrouver au milieu d’une pub pour Visa ou Mastercard : « all over the world !». Nous sommes au milieu de nulle part, sur un petit ponton en bois, et le gars cherche un signal téléphonique en tendant la machine à bout de bras vers l’antenne de Villa O’Higgins, à quelques kilomètres de là. La transaction prend du temps et nous la terminons dans le minibus qui nous fait parcourir les derniers kilomètres.

 

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Nous descendons du bus en face de l’hosteria « El Mosco » (www.patagoniaelmosco.com) où nous installons nos affaires dans la même chambre que Paul. Ca y est, nous y sommes : Villa O’Higgins, la fin (ou le début pour nous) de la Carreterra Austral ! Un petit coup d’œil à mon portefeuille : nous ferions mieux d’aller chercher de quoi se faire à manger plutôt que de chercher un des deux « restaurants » du village. Nous faisons donc un festin de pâtes (chaudes, rhaaaah c’est bon !) en discutant avec Jorge, l’espagnol propriétaire de l’hosteria, installé ici depuis 8 ans, et un couple de français qui se baladent comme moi et qui ont choisi de travailler avec Jorge quelques mois pour l’aider pendant la haute saison (ce qui est quand même tout relatif à Villa O’Higgins). Nous allons ensuite nous coucher, épuisés, dans des draps secs sous de chaudes et lourdes couvertures : quel bonheur ! Nous l'avons bien méritée, cette arrivée au Chili !

 

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commentaires

F
Bonjour Vincent, je suis soufflé, votre épopée est saisissante de beauté et de défis techniques, bon boulot les gars
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